L'ancien devient moderne, une fois de plus: les lits de sable et la vodka


"Cent mille lemmings ne peuvent se tromper." - Graffito, Le dictionnaire Penguin des citations modernes, deuxième édition.

Il semble que l'aquariophilie récifale soit remplie de "nouvelles" idées qui sont de nature périodiques et cycliques. Roger Vitko a écrit un article très intéressant sur l'histoire de l'aquariophilie récifale qui pose les bases du présent article. On m'a principalement demandé d'écrire l'article de ce mois à partir des récentes discussions qui ont eu lieu parmi les groupes de discussion Internet sur le fait d'ajouter certaines quantités d'alcool de grain dans les bacs et ses promesses. Avant de discuter de ce point, toutefois, je vais brièvement parcourir certaines autres similitudes historiques et tendances actuelles et autres pensées par lesquelles les récifalistes semblent en permanence se "ré-inventer." Ce n'est pas, il faut l'admettre même si c'est gênant, parce que je suis tout à fait contre leur application revisée et ameliorée. En fait, c'est juste parce que les mêmes principes sont appliqués de la même facon, faisant si peu d'efforts d'amélioration et plus une répétition des performances qui ont donné un résultat médiocre la première fois.

Pour que des idées telles que celles presentées dans cet article soient demontrées utilisables et efficaces, il faut qu'elles puissent suivre plusieurs principes. Premièrement, elles devraient subir l'épreuve du temps. Quelque chose qui peut sembler efficace durant une courte période de temps peut faire apparaître un effet différent (souvent contraire) de celui escompté sur le long terme. Deuxièmement, les idées ou pratiques devraient être basées sur des méthodes solides et des concepts avec quelque "raison d'être". Troisièmement, les tests potentiels faits par les autres devraient être observées avec scepticisme plutôt qu'avec un effet de moutonnage. En d'autres termes, être optimiste mais avec attention produit moins de jugements erronés que de se mettre en attente alléchée (connue également sous le nom de déception facile, en ébulliton, ou même stupide).

Quatrièmement, et finalement, une relecture de mes articles sur les mythes et anecdotes, et de l'article de Ron Shimek sur la méthodologie scientifique, serait d'un grand bénéfice à ceux qui sont enclins à faire de l'ancien, ou du neuf, du neuf à nouveau et d'éviter les pièges et les pas en arrière qui semblent prédisposés quand accompagnés par des phrases telles que "mon bac n'a jamais paru aussi beau", et "l'extension des polypes de mes coraux est plus grande, leur couleur est plus belle, et ils ont doublé de taille le mois dernier." Richard Harker a donné un excellent commentaire à la conference IMAC 2003 sur la nature ridicule du premier commentaire, et j'ai expliqué de nombreuses fois dans des écrits ou des publications passés que ni l'extension des polypes ni la coloration ne sont nécessairement des indicateurs valides de bonne santé d'un corail. Et, selon mon estimation, la seule façon pour un corail de doubler de volume dans la période de temps suggerée par beaucoup de récifalistes est de considérer une colonie de polypes qui se divise ou un très petit fragment qui grandit un tout petit peu.

Je suis d'humeur massacrante ce mois-ci, ayant déjà passé une grande partie de mon temps à écrire d'autres choses qui impliquent la citation de beaucoup d'éléments de fond. Ainsi cet article est une "suite de l'histoire contemporaine" de l'article de Vitko. A mon tour, j'expose les différentes idées présentées par les aquariophiles qui vivent à "Webville, USA,"à partir de l'évolution dans le temps des avancées rapides realisées pendant que j'ai été dans le coin. Bien que n'ayant pas l'expérience de certains dans le domains, j'estime quand même avoir depassé le stade de novice, même si je garde toujours l'excitation, l'enthousiasme et l'apprentissage (souvent par l'essai et l'erreur), qui caractérisent cette recherche passionante qui consiste à garder de simples invertébrés dans des boîtes de verre remplies d'eau salée.

Leçon retenue : les premières années.
Mon premier vrai bac récifal fonctionnel était un aquarium de 55 gallons (210 litres), mis en route après que j'ai abandonné le 30 gallons (110 litres) acheté lors d'un vide-grenier, et peu utile en tant que vitrine récifale. J'ai visité une animalerie locale en 1992 et suis tombé amoureux de Chaetodermis pencilligerus, le poisson lime orné. Les propriétaires du magasin m'ont assuré qu'il irait "bien" dans mon bac récifal. Tandis que j'ai eu de la chance que ce poisson ne mange pas d'autres habitants du bac, il a finalement atteint une longueur équivalente à la largeur du bac de 55 gallons, et a passé des mois dans une position stationnaire, dans un sens ou dans l'autre sur la longueur du bac. J'ai finalement réussi à trouver à ce beau poisson une place dans un aquarium public, mais ce n'est pas une bonne option étant donné que la plupart des aquariums publics ne serviront pas d'abri aux animaux d'aquarium mal choisis ou non desirés. J'ai eu de la chance, et mon beau poisson lime encore plus que moi.
Leçon retenue : le personnel des magasins de poissons et les pratquants de ce hobby, même s'ils ont de bonnes intentions, ne sont pas toujours une source d'information bonne ou exacte. Cette leçon m'a donné la motivation de chercher tous les aspects de chaque animal que j'achetais à partir de ce point, depuis des observations et expériences anecdotiques en aquarium jusqu'à des sources scientifiques acquises à partir de lectures dans les bibliothèques universitaires. Pour moi, ces animaux sont assez précieux pour ne rien mériter de moins.

La "nouvelle" méthode Berlinoise

"Le plus de sable s'est écoulé du sablier de la vie, le plus clair nous devrions être capables d'y voir au travers." Jean-Paul Sartre (1905-1980)

Comme l'a expliqué Roger Vitko, la methode Berlinoise a fait son apparition dans les années 1980, et les premières descriptions utilisaient un fin lit de sable comme base materielle du substrat. Plus tard dans les années 1980 et ensuite au début des années 1990, le lit de sable a été éliminé car considéré comme un "piège à nutriments". Quand j'ai commencé dans le hobby avec mon écumeur à contre-courant à 49,95 dollars marchant avec une pompe à air et mes HQI en 5500K, j'ai moi aussi délicatement arrangé et entassé mes pierres vivantes de Florida Keys sur un sol de verre glissant dans ce qui devait être une sorte de mur afin de fournir assez de pierres vivantes au bac pour qu'il y ait une "filtration naturelle" adéquate. Des éboulements arrivaient fréquemment, et le bac (bien qu'un succès pour l'époque), semblait toujours étrange. C'était une pile de cailloux avec des poissons nageant dans et autour de ce mélange incongru de carbonates, avec des coraux perchés avec attention ou soudés sur des étagères créées à la surface des roches. Les détritus étaient un problème constant, sur le sol nu s'accumulait ce matériau et le rendait visible et peu attractif, aussi le siphonnage hebdomadaire des détritus était une partie de la maintenance routinière. Evidemment, les détritus étaient peu enlevés par l'écumage étant donné qu'il n'y avait pas vraiment de bon moyen d'obtenir un flux d'eau adéquat dans le bac vu qu'il était complètement rempli de pierres, aussi les déchets tombaient sur le fond comme autant de flocons par une nuit d'hiver sans vent.

Les débuts et le milieu des années 1990 ont vu le retour de l'ajout d'un lit de sable aux aquariums récifaux, et ceux-ci sont devenus plus profonds, basés sur du carbonate, et biologiques. La tendance a été basée en grande partie sur une série d'articles de Shimek, et plus tard par beaucoup d'autres (moi y compris), qui ont appuyé l'utilisation de ce qui plus tard serait appelé familièr;rement un DSB, ou lit de sable profond (Deep Sand Bed). Ce développement était une tendance très importante aux Etats-Unis, tandis que la plupart des Européens ignoraient cette notion, ayant decidé quinze ans plus tôt que les lits de sables étaient une "bombe à nutriments attendant d'exploser". A la fin des annees 1990, j'ai commenté le fait que si c'était bien une bombe à nutriments, elle semblait reglée sur une horloge d'au moins sept ans, l'échelle de temps correspondant à mon Jaubert équipé d'un lit de sable très épais. D'autres aquariophiles semblaient confirmer la même chose, et bientôt il apparut que virtuellement presque tous les récifalistes US utilisaient des lits de sables épais. Quelques sceptiques durant cette période recommendaient d'enlever périodiquement des portions de ce lit de sable de peur de l'accumulation supposée des nutriments, mais il n'y a aucune preuve pour supporter qu'une telle chose soit en réalité arrivée. En fait, un des bénéfices de l'utilisation d'un lit de sable est que les détritus et les déchets sont utilisés par la faune, la flore et la communauté microbienne du lit de sable, augmentant la dénitrification et permettant l'utilisation de moins de roches vivantes avec en conséquence l'augmentation du flux d'eau dans le bac. C'est ce à quoi servent les lits de sable, pour résumer.

Il est peut-être ironique que les méthodes développées avec succè pour le récif mésocosme d'Adey (1983) aient déjà promu et utilisé des lits de sables épais, que la "méthode Jaubert" (Jaubert 1989) dépende strictement de l'utilisation de lits de carbonates lourds, que Julian Sprung ait parlé de son application du Jaubter avec succès au début des années 1990, que j'ai établi mon premier bac pur-Jaubert en 1994 avec beaucoup de succès pendant plusieurs années, et que je continue à avoir (même aujourd'hui) des bacs filtrés naturellement sans l'utilisation d'écumeur. Au début des années 1990, les gens ont "tiré sur la prise" de leur filtre semi-humides. Maintenant, il semble que les gens tirent sur la prise de leur lit de sable et retournent à un écumage massif et aux bacs à fond nu, une méthode vieille de quinze ans dont les défauts ont causé son abandon la première fois. A la place, nous voyons apparaître un grand nombre de nouveaux (et coûteux) filtres mécaniques, produits anti-phosphates à utiliser dans des appareils spéciaux, des écumeurs sophistiqués à l'extrême, des dénitrateurs à soufre, et d'autres encore. Des produits similaires ornaient les pages de publicité du FAMA en 1992, faites par des compagnies dont j'ai un jour utilisé les produits, en me demandant si c'était quelque chose dont j'avais besoin ou que je devrais avoir pour mon aquarium, jusqu'` ce que nous nous rendîmes tous compte que leurs appareils ne marchaient pas, observâmes des phénomènes non reproductibles, ou trouvâmes qu'il y avait des méthodes meilleures et plus naturelles 'de le faire'. (Pour la petite histoire, il est tout simplement étonnant de constater combien de compagnies utilisent les mêmes publicités qu'il y a 13 ans!)

Qu'est-ce qui ne va pas dans cette image ? Pourquoi les aquariophiles commenceraient à retirer leur lit de sable étant donné leur fonction utile selon bien des opinions? Je ne peux pas répondre dans tous les cas, mais il semble qu'une grande partie de ceci soit dû à la mentalité moutonnière qui a causé l'ajout des lits de sable initialement (la différence, évidemment, étant que l'adjonction de lits de sable était une bonne ideé!). A nouveau, les spéculations et les cris stridents à propos des lits de sable devenant des pièges à nutriments de la part de quelques aquariophiles est devenu le cri d'appel des hobbyistes d'internet qui ont prétendu tout à coup avoir des preuves qui généralement sont basées sur plusieurs facteurs: 1) leur bac n'avait jamais paru plus "mal en point"; 2) des algues cheveux poussaient partout et leurs coraux mourraient, et c'était certainement dû au lit de sable (et pas au fait que le bac avait deux mois, avait une très mauvaise qualité d'eau, était surpeuplé et surnourri, n'avait aucun herbivore de présent hormis trois Astrea et un bernard l'ermite, et un filtre avec l'éponge enlevée afin de maximiser le flot); et 3) que la somme totale du temps passé dans le hobby était généralement de l'ordre de quelques mois à quelques années.

J'ai dit précédemment que je ne suis pas le récifaliste le plus attentif. Ma routine de maintenance est plutôt laxiste, mes tâches principales se limitant à regarder les coraux grandir et tuer les Aiptasia. Je pense que je nourris probablement dix fois plus que l'aquariophile moyen, et je ne fais jamais de changements d'eau intentionnels sur mon bac principal. Je n'utilise pas de magic mud, je n'ai pas de refuge rempli de caulerpe, et je n'ai jamais eu de morts résultantes d'une explosion de nutriments ou d'hydrogène sulfide. J'utilise des lits de sable épais depuis près de dix ans, et ils ne sont jamais devenus des pièges à nutriments. Tandis que mon bac principal utilise un ecumeur, je me remémore avec nostalgie les jours où j'étais en permanence à la maison et je pouvais me sentir en sécurité à faire marcher le bac sans écumeur comme je le fais sur d'autres systèmes, ou quand mon bac "n'avait jamais paru plus beau" à la fin des années 90 (même si je dois dire qu'il est plutôt pas mal ce soir).

Heureusement, il y a maintenant de réelles réponses à ces spéculations sur les lits de sables, et j'espère sincèrement qu'elles seront lues, comprises et pratiquées comme étant plus valables que les opinions et observations de gens qui ont eu des problèmes et n'admettraient jamais ou peut être ignoraient que d'autres facteurs causaux étaient impliqués. J'attirerai l'attention sur les articles écrits et présentés par Charles Delbeek au MACNA XIII à propos des tests sur les lits de sables et les plenums à l'aquarium de Waikiki, et plus encore, sur les expériences réalisées par Rob Toonen et présentées aux conférences IMAC et MACNA de cette année, bientôt publiées, et dont les autres travaux (y compris les articles, Are Plenums Obsolete, parties 1 et 2) sur le sujet peuvent être trouvés sur ce site web. Peut-être qu'alors des choix intelligents pourront-ils être faits et des avances (plutôt que des reculs) apparaîtront dans le domaine.

"Il y a des tas de milliers d'insectes humains qui sont préts à tout moment à révéler la volonté divine sur tous les sujets possibles." - George Bernard Shaw (1856-1950)

Leçon retenue: les années de l'adolescence
J'étais, dès 1996, devenu un fervent partisan des lits de sables épais. Après avoir acheté du sable vivant des îles Marshalls à 6,99$ la livre, et des pierres vivantes des îles Tonga et Marshall de mon bac ayant coûté 12,99$ la livre, mon bac recifal de 120 gallons (450 litres) représentait déjà un investissement rien que pour le substrat. J'utilisais trois ampoules 175W de 10000W supplémentées par des actiniques, un écumeur fabriqué par mes soins qui était haut de 6 pieds et utilisait un injecteur venturi Mazzei de 1,5 pouces. J'utilisais également un mécanisme de chasse de type Carlson qui venait de faire son apparition dans SeaScope (Carlson 1996). La maison que je louais à l'époque avait une croûte de sel constante autour du bac y compris sur les prises électriques. J'avais également un système en pur Jaubert en tant que bac d'élevage de 40 gallons (150 litres) qui était en opération depuis 2 ans à ce point. Quelques aquariophiles avaient suggeré qu'il serait une bonne idée de remuer les lits de sable afin de libérer les débris accumulés pour qu'ils soient enlevés par écumage et afin de donner des particules de nourriture aux coraux. Ayant depuis longtemps pensé à l'absence de particules dans la colonne d'eau et aux façons d'en fournir, mais n'ayant pas beaucoup pensé à la microbiologie des sédiments et aux changements de la chimie de l'eau induits par le fait d'agiter ces sédiments, cela paraissaît une bonne idée. Alors j'agitais mes lits de sables plusieurs fois durant une période d'une semaine. Initialement, je fus impressionné par le fait que les polypes des coraux s'ouvraient et se nourrissaient du matériau qui formait un nuage dans la colonne d'eau. Une semaine plus tard, la plupart de mes Acroporacés montraient une nécrose des tissus, et j'eûs ma première expérience réelle de ce qui était alors appelé 'nécrose rapide des tissus' (RTN: Rapid Tissue Necrosis). Elle élimina la plupart de mes coraux, et elle lança mon intérêt vers ce qui allait éventuellement devenir un des principaux sujets de la dissertation que je suis désormais sur le point de terminer.
Leçon retenue: les lits de sables sont très utiles, mais sont mieux laissés tranquilles. Ils contiennent une énorme population de microbes, beaucoup d'entre eux étant pathogènes opportunistes directs ou indirects des habitants de l'aquarium (et des êtres humains). Le changement en potentiel redox qui arrive dans les lits de sable, de même que le cassage des poches anoxiques qui peuvent contenir du sulfure d'hydrogène, amènent une rupture de l'équilibre de la colonne d'eau et peuvent résulter en virtuellement la mort de tous les poissons et invertébrés du bac. Ce ne sont pas des bombes à nutriments, mais doivent être compris pour fonctionner correctement dans l'aquarium.

Puis-je avoir votre carte d'identité

"Aucun autre homme, ou femme, ni poème ou musique, livre ou peinture ne peut remplacer l'alcool dans son pouvoir de donner à l'homme l'illusion de la création réelle." - Marguerite Duras (1881-1975)

Je remonte le passé jusqu'en 1995, alors que je discutais avec Ed Puterbaugh, le co-auteur du livre "A practical guide to Corals", de ce que plusieurs aquariophiles dans son état natal du Kentucky faisaient à ce moment. Ils ajoutaient de la vodka dans leurs bacs et reportaient toutes sortes de bénéfices magiques incluant la réduction des taux de nitrates. J'écoutais d'une oreille méfiante et les sourcils arcqués tandis que Puterbaugh me demandait mon opinion avec enthousiasme et offrait son intention de commencer immédiatement le dosage sur son aquarium récemment installé. Je considérais l'idée, et expliquait pourquoi je pensais que ca n'en était pas une bonne, et n'en avais pas entendu parler plus d'une poignée de fois depuis lors jusqu'à l'année dernière. Je n'en ai pas entendu parler par Puterbaugh non plus, une autre bonne chose. Maintenant, apparemment, quelques membres de la communauté aquariophile récifale européenne proposent d'ajouter de la vodka ou de l'éthanol dans leurs bacs recifaux dans ce qui paraît être une nouvelle "rage du jour" à la fois ici, à l'étranger, et sur les forums internet.

Je continuerai sur ce sujet le mois prochain.



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Bibliographie:

Adey WH. 1983. The microcosm: a new tool for reef research. Coral Reefs 1: 193-201

Jaubert J., 1989. An integrated nitrifying-denitrifying biological system capable of purifying seawater in a closed circuit aquarium. Bull. Inst. Océanogr. Monaco 5: 101-106




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